Biais de fixation
« Quand je dois trouver une solution à un problème, je fixe mon attention sur la première idée ou perspective qui me vient à l'esprit, au détriment des autres possibilités. »
Définition
Le biais de fixation se produit lorsqu'une idée ou perspective accapare l'attention et freine la recherche de solutions alternatives originales. Ce biais est étudié en psychologie de la créativité. Il incite les personnes à produire rapidement des idées conventionnelles dans les premiers moments de leurs réflexions et à persévérer dans cette direction souvent infructueuse [1]. Ce phénomène se produit même lorsqu'on demande explicitement à la personne d'être créative [2]. Le biais de fixation conduit également à une attention exagérée aux exemples auxquels nous sommes parfois exposés. Enfin, ce biais peut conduire au sentiment d'être bloqué-e dans ses pensées, jusqu'à ce qu'un moment « eurêka! » conduise soudainement à une idée originale [3]. L'expression « thinking outside the box » est souvent évoquée pour caractériser l’aptitude à surmonter ce biais, qui est par ailleurs très prévalent dans notre manière d’aborder les problèmes au quotidien.
Exemple
Sophie constate que le sol est très glacé. Sa voiture ne bouge pas et les roues tournent inutilement sur la glace ! Elle avance et recule—tourne les roues à gauche et à droite—avance et recule à nouveau. La solution ne fonctionne pas, mais elle persévère un moment. Finalement, elle demande de l'aide à son voisin, Akim. Sophie est au volant et met le pied sur l'accélérateur, tandis que son voisin pousse derrière. La solution ne fonctionne pas, mais les deux persévèrent un moment. Sur le point d'abandonner et d'appeler la remorqueuse, Akim a soudainement une idée ! Et si la glace ne glissait plus ? Sophie entre dans la maison et en ressort avec de la litière pour chat. Ils répartissent la litière autour des roues—eurêka ! La voiture parvient à avancer sur la surface désormais moins glissante.
Explication
Les scientifiques attribuent ce biais à l'architecture du cerveau et à la manière dont les personnes accèdent à leurs connaissances en mémoire. Une première explication propose que la résolution d’un problème implique un travail inconscient qui consiste d'abord à activer souvenirs et expériences passées [4]. Le cerveau va alors produire automatiquement et inconsciemment les solutions ou les idées qui sont étroitement associées au problème. Cette activation des souvenirs et expériences, qui échappe au contrôle de la personne, continuera à se propager dans le cerveau jusqu'à ce que des connaissances plus éloignées dans la mémoire soient accessibles et permettent la génération d'idées créatives. Ce modèle explique pourquoi les idées conventionnelles sont produites rapidement et que la fréquence des idées originales augmente avec le temps, tandis que le rythme auquel les idées sont produites diminue.
Une autre explication du biais de fixation propose que la résolution d’un problème ou la génération de solutions innovantes impliquent un travail conscient qui sollicite les fonctions exécutives, c'est-à-dire les processus mentaux nécessaires pour coordonner les pensées et les actions en vue d'atteindre des objectifs. Une quantité de plus en plus importante de recherches montrent que le biais de fixation est moins prononcé chez les personnes ayant un haut potentiel intellectuel ou exécutif. Ces personnes produisent des solutions originales plus rapidement [5] et sont moins affectées par l’exposition à des exemples de solutions [6]. Le biais de fixation implique donc la faculté à réfréner les idées spontanées et à adopter des stratégies de pensée qui sont délibérées, ce qui prend du temps et est énergivore pour le cerveau [7]. Au vu des recherches les plus récentes, le biais de fixation s'expliquerait par l'interaction entre le travail inconscient et conscient du cerveau.
Conséquences
Le biais de fixation prévaut dans la plupart des sphères ou domaines de la vie qui impliquent la résolution de problèmes, en particulier lorsque le contexte exige une solution créative. La conséquence la plus dommageable de ce biais est l'abandon prématuré de la recherche de solutions. La fixation s’exprime dans la vie quotidienne, mais est également une préoccupation pour les entreprises et les gouvernements en quête de solutions innovantes.
Pistes de réflexion pour agir à la lumière de ce biais
Planifier des pauses—Plusieurs recherches montrent qu'une pause où la personne se distrait avec une autre activité améliore la créativité des solutions et la fréquence des moments « eurêka! » lorsqu'elle se concentre de nouveau sur le problème [6].
Persévérer—Les solutions originales exigent un effort mental et cela prend du temps [5].
Éviter les exemples—L’exposition à des exemples de solution peut parfois amplifier le biais de fixation [6].
Travailler en groupe—Les perspectives variées facilitent les solutions créatives.
Décomposer le problème—Cela peut aider à voir différemment la situation [2].
Comment mesure-t-on ce biais?
La mesure la plus populaire consiste à imaginer des utilisations alternatives pour des objets du quotidien, tels que des chaussures [2]. Si une personne produit des idées tirées de ses souvenirs et expériences avant des idées créatives, alors celle-ci montre peut-être un biais de fixation. L’idée d’utiliser une chaussure pour se protéger les pieds est habituellement produite avant les idées originales, telles que concevoir un filet de pêche à partir des lacets. Le biais de fixation est également mesuré à l’aide de problèmes qui impliquent la perspicacité [4]. Imaginez une situation où on souhaite accrocher une bougie au mur. On présente une série d’objets : une bougie, un paquet d’allumettes et une boîte de punaises. Les premières solutions tendent à utiliser les punaises, et peut-être les allumettes, pour fixer la bougie au mur. L’attention se fixe sur cette solution et ses variantes, mais une autre solution est plus élégante. Certaines personnes pensent à enlever les punaises de la boîte, l’utiliser pour y déposer la bougie et fixer le tout au mur à l’aide des punaises. Si la personne abandonne ou persévère à utiliser la stratégie initiale, alors celle-ci montre un biais de fixation.
Ce biais est discuté dans la littérature scientifique :
Ce biais a des répercussions au niveau individuel ou social :
Ce biais est démontré scientifiquement :
Références
[1] Paul R. Christensen, Joy Paul Guilford, & Robert C. Wilson. (1957). Relations of creative responses to working time and instructions. Journal of experimental psychology 53(2): 82-88.
[2] Fatih Kaya, & Selcuk Acar (2019). The impact of originality instructions on cognitive strategy use in divergent thinking. Thinking Skills and Creativity 33:100581.
[3] Robert W. Weisberg (2019). Toward an integrated theory of insight in problem solving. Dans Insight and Creativity in Problem Solving. Routledge.
[4] Sarnoff Mednick. (1962). The associative basis of the creative process. Psychological Review, 69(3): 220–232.
[5] Roger E. Beaty, & Paul J. Silvia. (2012). Why do ideas get more creative across time? An executive interpretation of the serial order effect in divergent thinking tasks. Psychology of aesthetics, creativity, and the arts 6(4): 309-319.
[6] Pier-Luc de Chantal, Aleksandra Zielińska, Izabela Lebuda, & Maciej Karwowski. (en evision). How Do Examples Impact Divergent Thinking? The Interplay Between Associative and Executive Processes. Psychology of aesthetics, creativity, and the arts.
[7] Kenneth J. Gilhooly, Evridiki Fioratou, Susan H. Anthony, & Val Wynn. (2007). Divergent thinking: Strategies and executive involvement in generating novel uses for familiar objects. British Journal of Psychology 98(4) : 611-625.
[8] Kenneth J. Gilhooly. (2016). Incubation and intuition in creative problem solving. Frontiers in psychology, 7: 1076.
Tags
Niveau individuel, Besoin de fermeture cognitive
Biais reliés
Biais de la fixité fonctionnelle (synonyme)
Auteur-e
Pier-Luc de Chantal est professeur au département de psychologie à l’Université du Québec à Montréal. Il est membre de l’Institut des sciences cognitives et directeur du laboratoire CREO sur la cognition et la créativité. Ses travaux portent sur le raisonnement, les déterminants cognitifs de la créativité et l’impact de la technologie sur la cognition et la recherche en psychologie.
Liens:
Comment citer cette entrée
De Chantal, P.-L. (2023). Biais de fixation. Dans G. Béghin, E. Gagnon-St-Pierre, C. Gratton, & E. Muszynski (Eds). Raccourcis : Guide pratique des biais cognitifs Vol. 5. En ligne : www.shortcogs.com
Écrivez-nous à shortcogs@gmail.com
Recevez des mises à jour sur le contenu en vous inscrivant à notre liste d'envoi
Merci à nos partenaires
© 2020 Shortcuts/Raccourcis. Tous droits réservés.