Biais d'intentionnalité
« Lorsqu'une personne fait quelque chose, comme me couper la route dans le trafic, j'ai tendance à supposer qu'elle l'a fait intentionnellement. »
Définition
Le biais d'intentionnalité décrit la tendance des individus à interpréter par défaut tous les actes comme intentionnels. Plus précisément, il stipule que lorsqu'on évalue une personne engagée dans une action, une interprétation intentionnelle est automatiquement activée dans nos esprits par défaut [1]. Cette interprétation initiale peut être remplacée ou inhibée par l’obtention d’informations supplémentaires, mais selon le biais d'intentionnalité, chaque action est jugée intentionnelle jusqu'à preuve du contraire. Toutes les actions non intentionnelles, y compris celles dues à des accidents, des erreurs, le hasard et la chance, seront évaluées comme étant involontaires seulement après qu'une interprétation intentionnelle initiale ait été activée, puis inhibée.
Pour cette raison, nous pouvons faire certaines prédictions sur les situations où les interprétations intentionnelles seront plus probables. Il s’agit des situations où nous aurons plus de mal à inhiber l'interprétation intentionnelle initiale. Par exemple, lorsque nous avons une charge cognitive importante (p.ex., en effectuant plusieurs tâches en même temps) [1], ou lorsque nos capacités d'inhibition sont compromises par l'alcool [2], ou même lorsque nous sommes plus jeunes et avons moins de connaissances et de capacités de traitement. Si les résultats suggèrent à juste titre que l'intention est activée chaque fois que nous évaluons une personne engagée dans une action, alors cela suggèrerait que ce phénomène serait assez répandu et présent dans toutes les populations à des degrés divers.
Exemple
La rage au volant fournit une bonne illustration du biais d'intentionnalité. Lorsque quelqu'un nous coupe la route dans la circulation, ou conduit trop près derrière nous, de nombreuses personnes peuvent devenir rapidement énervées. Cela peut être compris au travers de la lentille du biais d'intentionnalité dans la mesure où, l'autre personne conduisant n'a peut-être pas eu l'intention de nous suivre de si près, ou de nous couper la route, mais nous négligeons cette interprétation et interprétons plutôt l'acte comme une agression. Une fois que nous interprétons l'acte comme agressif, nous pouvons y répondre de même (conduire trop lentement ou partager un geste peu amical) ; la scène est alors prête à transformer une erreur innocente en une véritable bataille !
Explication
Comme expliqué précédemment, un accident est considéré comme tel seulement en remplaçant l'interprétation intentionnelle initiale par une interprétation non intentionnelle. Par exemple, si l’on nous demande de juger si "mettre le feu à une maison" est intentionnel ou accidentel, selon le biais d'intentionnalité, notre réaction initiale devrait être qu'il est intentionnel.
Cette inférence automatique de l'intention peut cependant être inhibée ultérieurement par des connaissances supplémentaires telles que la compréhension de la faillibilité humaine (p.ex., l'oubli d'une cigarette allumée), les normes sociales (p.ex., les maisons brûlées ne sont généralement pas souhaitées) et la combustibilité (p.ex., des rideaux et du bois). Par conséquent, bien qu'une interprétation intentionnelle soit initialement activée, après un moment de réflexion, nous pouvons revoir notre jugement et interpréter cet acte comme accidentel. Cependant, il est important de noter que si notre accès aux connaissances supplémentaires de la faillibilité humaine et de la combustibilité des matériaux est compromis, l'interprétation de cet acte resterait qu'il était intentionnel. La même logique s'applique à d'autres actes non intentionnels : l'accès à la connaissance de l'événement ou des événements connexes peut aider à inhiber l'interprétation intentionnelle.
Conséquences
Ce biais peut avoir un impact de plusieurs façons. Il peut aider à expliquer pourquoi nous blâmons facilement les autres et croyons aux théories du complot. Parfois, les choses arrivent simplement par hasard et pourtant, nous percevons une volonté. Le biais de l'intentionnalité peut également nous aider à comprendre certaines formes de croyance religieuse, dans la mesure où nous pensons que tout arrive pour une raison. Dans le même sens, cela peut aider à expliquer pourquoi les gens ont du mal à comprendre le hasard.
Distinguer les niveaux d'intention est au cœur de nos jugements moraux et de notre système juridique. Peut-être l'illustration la plus extrême est que la différence entre meurtre et homicide involontaire repose sur l'inférence d’une intentionnalité ; pourtant, les jugements de culpabilité ou d'innocence dépendent de la volonté perçue de la personne impliquée dans l'action. Ce biais met donc en évidence l’importance, pour un procès équitable, que les personnes soient présumées innocentes jusqu’à preuve du contraire. En effet, le fait que nous ayons besoin d'un tel rappel est révélateur, car il semble que nous négligions souvent de voir que de nombreuses actions sont causées de manière non intentionnelle. Rarement, cependant, avons-nous à nous persuader explicitement que les gens agissent intentionnellement - le biais de l'intentionnalité le fait pour nous.
Pistes de réflexion pour agir à la lumière de ce biais
Donner aux personnes le bénéfice du doute.
Chercher activement des explications alternatives pour le comportement des gens, surtout lorsque celui-ci est négatif.
Tempérer vos interprétations de complot et de blâme.
Comment mesure-t-on ce biais?
Ce biais a été mesuré pour la première fois en demandant aux gens de lire une série de phrases décrivant des actions pouvant être produites intentionnellement ou par accident, mais qui sont généralement faites par accident (comme « Elle a donné un coup de pied au chien ») ? Les personnes devaient décider si les actions décrivaient quelque chose de généralement fait « intentionnellement » ou « accidentellement ». Lorsque les participant-es devaient prendre une décision rapidement, ils jugeaient plus souvent que les actions étaient faites intentionnellement [1]. D'autres recherches ont également trouvé des effets similaires lorsque les participant-es sont sous l'influence de l'alcool - ils surestiment l'intentionnalité d'actes ambigus [2]. Les deux contextes empêchent les personnes d'inhiber correctement l'interprétation intentionnelle par défaut.
Ce biais est discuté dans la littérature scientifique :
Ce biais a des répercussions au niveau individuel ou social :
Ce biais est démontré scientifiquement :
Références
[1] Rosset, Evelyn (2008). It’s no accident: Our bias for intentional explanations. Cognition, 108, 771-780.
[2] Bègue, Laurent, Bushman, Brad J., Giancola, Peter R., Subra, Baptiste, & Rosset, Evelyn (2010). “There Is No Such Thing as an Accident,” Especially When People Are Drunk. Personality and Social Psychology Bulletin, 36, 1301-1304
[3] Rosset, Evelyn & Rottman, Joshua (2014). The Big ‘Whoops!’ in the Study of Intentional Behavior: An Appeal for a New Framework in Understanding Human Actions. Journal of Cognition and Culture, 14, 27-39.
[4] Kahneman, Daniel. (2011). Thinking, Fast and Slow. Anchor.
Tags
Niveau interpersonnel, Besoin de fermeture cognitive, Besoin de consonance cognitive
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Auteur-e
Evelyn Rosset, Ph.D, a étudié le biais d'intentionnalité dans sa thèse de doctorat à l'Université de Boston. Elle est actuellement chargée de cours à l'Université Anglia Ruskin, à Cambridge, au Royaume-Uni, et fondatrice du Maac Lab (www.maac-lab.com), une organisation à but non lucratif basée à Lyon, en France.
Comment citer cette entrée
Rosset, E. (2023). Biais de réification, trad. G. Béghin, avec Open AI. (2021). GPT – 3.5 « ChatGPT ». Dans G. Béghin, E. Gagnon-St-Pierre, C. Gratton, & E. Muszynski (Eds). Raccourcis : Guide pratique des biais cognitifs Vol. 5. En ligne : www.shortcogs.com
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