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Biais d'angle mort

« Les autres sont plus biaisés que moi. »

Définition

S’il peut sembler facile d’identifier la partialité chez les autres, il en va autrement quand vient le temps d’évaluer ses propres capacités à réfléchir de façon impartiale. En effet, les individus remarquent difficilement les biais qui marquent leurs propres décisions, jugements, croyances ou perceptions : c’est le biais de l’angle mort [1]. Autrement dit, nous nous croyons plus aptes que nos pairs à percevoir la réalité telle qu’elle est et à raisonner de façon neutre et objective [2,3]. Cette croyance persiste même lorsque nous connaissons l’existence des biais cognitifs [4].

Exemple

Paul est directeur d’un département dans une université réputée. Il doit recommander une professeure à un comité de nomination pour le concours de « l'Enseignant-e étoile de l'année ». L’une des deux professeures ayant posé sa candidature au concours est une amie de longue date de Paul. Le directeur sait très bien qu’il s’agit là d’une situation de conflits d’intérêts. Si un-e collègue était dans sa position et lui demandait conseil, Paul lui suggèrerait de demander à quelqu’un d’autre de se prononcer, afin que la décision rendue soit neutre. Pourtant, dans son cas, il est convaincu qu’il sera capable d’évaluer en toute impartialité les deux candidatures. Il recommande donc son amie, en croyant s’être basé sur des faits objectifs, sans se rendre compte que sa décision est fortement influencée par ses préférences affectives.

Explication

Il existe trois mécanismes bien documentés qui expliquent l’apparition et le maintien du biais de l’angle mort [1]. Le premier est la tendance à vouloir se percevoir sous un jour positif : comme les biais sont généralement considérés comme indésirables, nous avons tendance à sous-estimer le degré auquel nos actions et nos pensées sont biaisées. Cela permet de maintenir une image positive de nous-même. Ensuite, la plupart des biais opèrent à un niveau inconscient et nous sous-estimons généralement l’influence que les processus inconscients ont sur nos comportements et nos pensées. Finalement, nous croyons que la vision que nous avons du monde est objective, de telle sorte que lorsque quelqu’un ne partage pas notre vision, il est facile d’attribuer ce différend au fait que l’autre est biaisé-e. Ces mécanismes explicatifs permettent aussi de mettre en lumière des contextes dans lesquels le biais de l’angle mort est plus à risque de se produire, telles que des situations où l’estime de soi est menacée, des situations où des motivations inconscientes risquent de se manifester ou encore des situations où l’on fait face à un avis divergent [1]. Pour ces raisons, les conflits sont particulièrement propices au biais de l’angle mort [2,3].

Conséquences

Le biais de l’angle mort a un effet néfaste sur la compréhension d’autrui en situation de conflit, car il nous rend sûr-e de nous-même et nous fait douter des capacités de jugement de notre interlocuteur-trice [2]. À l’échelle politique, l’effet du biais peut prendre des dimensions importantes et précipiter des conflits, voire même des formes de violences [3]. En effet, à quoi bon négocier ou user de diplomatie, si nous croyons que l’autre est irrationnel-e et biaisé-e [1]? Finalement, le fait de se renseigner sur les biais cognitifs ne nous rend pas nécessairement meilleur-es à les éviter chez nous [2]. Au contraire, cela peut avoir l’effet inverse, parce que nous nous croyons faussement à l’abri de leur influence [3].

Pistes de réflexion pour agir à la lumière de ce biais

  • Garder une attitude humble par rapport aux biais cognitifs. Les connaitre n’est pas suffisant pour nous en protéger. 

  • Se rappeler que notre vision du monde est rarement fidèle à la réalité, que nos raisonnements sont souvent distordus et que notre jugement est rarement juste. 

  • Pratiquer la méditation de type présence attentive (mindfulness). Cette pratique semble augmenter notre capacité d’introspection et nous aiderait à détecter nos propres biais [5].

Comment mesure-t-on ce biais?

Il existe plusieurs méthodes expérimentales, mais le principe de base repose sur trois étapes : 1) Induire un biais chez les participant-es. Typiquement, les participant-es doivent prendre une décision, mais l’environnement est manipulé pour que la décision soit biaisée. 2) Expliquer aux participant-es le biais qu’on leur a induit et leur demander d’évaluer à quel degré leur décision a été biaisée. 3) Demander aux participant-es d’évaluer à quel point un pair (réel ou imaginé) aurait été biaisé. La différence entre le degré de biais perçu chez soi et chez un pair représente l’effet du biais de l’angle mort [1,3].

Ce biais est discuté dans la littérature scientifique :

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Ce biais a des répercussions au niveau individuel ou social :

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Ce biais est démontré scientifiquement :

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Références

[1] Pronin, Emily (2007). Perception and misperception of bias in human judgment. Trends in Cognitive Sciences, 11(1), 37–43. 


[2] Frantz, Cynthia MecPherson (2006). I AM Being Fair: The Bias Blind Spot as a Stumbling Block to Seeing Both Sides. Basic and Applied Social Psychology, 28(2), 157–167. https://doi.org/10.1207/s15324834basp2802_5 


[3] Pronin, Emily (2008). How We See Ourselves and How We See Others. Science, 320(5880), 1177–1180. https://doi.org/10.1126/science.1154199. 

(revue théorique).


[4] Pronin, Emily, Daniel Y. Lin & Lee Ross (2002). The bias blind spot: Perceptions of bias in self versus others. Personality and Social Psychology Bulletin, 28(3), 369-381 (Première mention du bias). 


[5] Gill, Louis-Nascan, Robin Renault, Emma Campbell, Pierre Rainville & Bassam Khoury (2020). Mindfulness induction and cognition: A systematic review and meta-analysis. Consciousness and Cognition, 84, 102991.

Tags

Heuristique de disponibilité, Besoin d'estime de soi, Niveau interpersonnel

Biais reliés

Auteur-e

Louis-Nascan Gill, candidat au Doctorat en psychologie, Université du Québec à Montréal.

Comment citer cette entrée

Gill, L-N. (2020). Biais d’angle mort. Dans E. Gagnon-St-Pierre, C. Gratton & E. Muszynski (Eds). Raccourcis : Guide pratique des biais cognitifs Vol. 2. En ligne : www.shortcogs.com

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